Le Cercle Lafay a tenu ses deuxièmes assises sur le thème : « Travail dissimulé…entre réalité et propositions ». Fidèle à son engagement, Le Cercle Lafay entend apporter sa pierre à l’édifice en formulant un certain nombre de propositions. Nos lecteurs trouveront une synthèse des travaux…

Selon l’IFRAP, il y aurait 3 types de fraude en matière de sécurité sociale :

▪ La fraude documentaire aux numéros de sécurité sociale : entre 245 millions et 1,17 milliard d’euros ;

▪ La fraude aux travail dissimulé : entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros ;

▪ La fraude aux prestations sociales : entre 800 millions et 1 milliard d’euros

Nous nous polariserons sur la « fraude » la plus importante, celle au travail dissimulé. Cette « fraude » concerne le tiers du montant des redressements faits par les URSSAF.

Bien évidemment, il convient de lutter contre cette fraude, sous toutes ces formes. Toutefois, cette affirmation ne saurait donner aux pouvoirs publics un blanc-seing dans la lutte contre ce fléau.

Quatre points seront abordés :

Il conviendrait pour le moins de définir les termes de « fraude sociale »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces termes posent un problème de définition.  Voici ce qu’écrivaient les députés Bernard Gérard et Marc Goua en 2015 : « En premier lieu, les rapporteurs tiennent à faire une remarque préliminaire sur le champ lexical utilisé par les URSSAF. Tout cotisant faisant l’objet d’un redressement est automatiquement qualifié de « fraudeur ». Selon Le Larousse, la définition de la fraude constitue en un « acte malhonnête dans l’intention de tromper en contrevenant à la loi ou aux règlements ». Or, lorsque la faute du cotisant résulte d’une erreur de « bonne foi », il n’est pas juste ni adapté d’utiliser à son égard un tel qualificatif. Les mots sont importants et contribuent sensiblement à la perception que les entreprises peuvent avoir des organismes de recouvrement. Il conviendrait ainsi de revoir le champ lexical utilisé par les URSSAF pour qualifier un employeur ayant commis une faute de « bonne foi » (Pour un nouveau mode de relations URSSAF/Entreprises. Assemblée Nationale. Avril 2015). Cette précision paraît d’autant plus importante aujourd’hui lorsque l’on constate que 9/10e des contrôles des PME se soldent par un redressement… !

L’immense majorité des redressements opéré fait suite à des erreurs (dans le cadre d’une législation sociale souvent incompréhensible) et non à de la fraude…Evitons de stigmatiser les entrepreneurs, les TPE et les PME

Il convient  de revoir la définition du « travail dissimulé »

Rappelons que le travail dissimulé constitue un élément du travail illégal. Pratiquement, il recouvre deux types de situations : la dissimulation d’activité qui concerne les travailleurs indépendants qui se soustraient intentionnellement à leurs obligations d’immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, ou encore aux déclarations devant être faites auprès des organismes de protection sociale (dont l’URSSAF) ou à l’administration fiscale  et la dissimulation de salariés (absence de déclaration préalable à l’embauche ou de bulletin de paie ou de déclaration relative aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement ou de l’administration fiscale, étant entendu que la mention intentionnelle sur le bulletin de salaire d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli peut également constituer une dissimulation d’emploi salarié. Or, on constate depuis un certain nombre d’années que sous couvert d’une nécessaire lutte contre le travail dissimulé, le législateur n’a eu de cesse de banaliser cette notion. L’exemple le plus frappant est celui de l’article L 8221-5 2° suivant lequel est réputé travail dissimulé le fait de « se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ». Lorsque l’on sait les difficultés d’application de la législation en matière de durée du travail, on se dit que beaucoup d’entreprises entrent dans le champ d’application du travail dissimulé dans même le savoir (ainsi, le fait pour un employeur de payer des heures supplémentaires en primes exceptionnelles (situation que l’on relève fréquemment dans les TPE…), peut rentrer dans la définition du travail dissimulé (même si l’URSSAF ne subit aucun préjudice puisque les cotisations et contributions sont payées sur les salaires) – certes, la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué (Cass soc.4 mars 2003 pourvoi n° 00-46906, 22 juin 2011. pourvoi n° 09-42151 ) ; toutefois, l’appréciation du caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass soc. 14 octobre 2015 pourvoi n° 14-12193 – V. également Toulouse. Chambre 3. 30 août 2016. RG n° 16/00872). Certains auteurs n’ont pas hésité à parler d’arsenal législatif compliqué, redoutable et souvent démesuré…

Entre donc dans la définition du travail dissimulé le cas de « Mamie Bistro » qui aide bénévolement son conjoint, le client du bar qui vient rapporter son verre au comptoir, l’entraide entre voisins, la personne qui vient aider son frère sur un marché, le fait de payer des heures sup’ en primes exceptionnelles, même si l’URSSAF ne subit aucun préjudice, les bénévoles qui aident au festival des francofolies, moyennant les repas et un passgratuits..

De même, le bénévolat pourrait être qualifié de travail dissimulé : V. pour exemple : Cass civ. 2°. 20 septembre 2005. pourvoi n° 03-30592 V. sur ce point : Hervé Guichaoua. La frontière entre l’activité professionnelle et le bénévolat. Le Droit ouvrier. Avril 2013. p 229 s). 

La situation serait identique pour les « faux travailleurs indépendants » (V. ainsi : Cass crim. 15 décembre 2015. pourvoi n° 14.85638, Cass. civ. 2e ch. 7 juillet 2016. pourvoi n° 15-16110: requalification en contrat de travail de « faux » auto entrepreneurs, Cass civ.2°. 28 mai 2014. pourvoi n° 12-21397: requalification en salaire de commissions versées à des négociateurs immobiliers) même si ceux-ci ont régulièrement versé leurs cotisations auprès des régimes de travailleurs indépendants.

Il est donc clair que la définition du travail dissimulé doit être revue, sauf à vouloir mettre tout le monde dans le même sac : la personne non déclarée, le cas de Mamie Bistro et l’agent commercial requalifié en salarié !

Il faut arrêter la sur enchère de textes en la matière

On ne compte plus en effet le nombre de lois et décrets qui se sont empilés en la matière (chaque loi, chaque décret traitant de près ou de loin du droit du travail, de la protection sociale ou encore du droit des affaires se doit aujourd’hui d’avoir un chapitre ou section relative à la lutte contre le travail dissimulé…) à tel point que l’étude du sujet est devenue ardue voire incompréhensive même pour les professionnels les plus avertis (certains auteurs n’ont pas hésité à parler de « surenchère législative » : V. V. Nivelles. Jurisprudence sociale Lamy. 2015. 399/400).

Il convient de revoir le système des sanctions

Les conséquences financières du travail dissimulé (quel qu’en soit la cause) sont incalculables. Pour les résumer, il y a :

• un redressement forfaitaire qui s’applique lorsqu’aucun élément ne permet de connaître la rémunération versée au salarié non déclaré. A cela s’ajoutent les majorations de retard classiques, une majoration de 25 % sur le redressement envisagé, une majoration de 40 % lorsque les circonstances aggravantes sont réunies (par exemple, lorsque le travail dissimulé est commis en bande organisée.

• En outre, l’URSSAF peut procéder, sur une période de 5 années, à l’annulation totale des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions sociales (perte des réductions Fillon par exemple).

• Refus de délivrance de l’attestation de vigilance

Qu’est-ce que l’attestation de vigilance ? Pour tout contrat d’un montant minimum de 5000 € hors taxes (montant global de la prestation même si celle-ci fait l’objet de plusieurs paiements ou facturations), le donneur d’ordre doit vérifier, lors de sa conclusion, puis tous les 6 mois jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations de déclaration et de paiement des cotisations à l’égard de l’URSSAF.

• solidarité financière

Le mécanisme de solidarité financière avec le sous-traitant ayant fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé permet à l’URSSAF de rechercher la responsabilité du donneur d’ordre ou maître d’ouvrage 

• saisie conservatoire

Il s’agit ici d’une véritable garantie pour l’URSSAF qui pourra, en cas de défaillance du débiteur, saisir les biens pour les vendre et se faire payer sa créance. Lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé est dressé, le cotisant doit adresser au Directeur de l’URSSAF les éléments justifiants qu’il dispose des garanties suffisantes pour payer sa dette. A défaut de garanties ou si les garanties sont jugées insuffisantes au regard de la dette, le Directeur de l’URSSAF peut procéder sur les biens du débiteur une ou plusieurs mesures conservatoires.

Il faut revoir la procédure applicable en la matière en développant le dialogue et la procédure contradictoire

• D’abord, il faut revoir la définition du travail dissimulé en adaptant les sanctions par rapport à l’infraction commise

▪ Il fait donner la faculté à l’agent chargé du contrôle de l’URSSAF d’individualiser la sanction en tenant compte de la bonne foi du cotisant. Etrangement, cette faculté n’est pas prévue dans ce type de situation où règne le principe de l’uniformité des sanctions.

▪ Il faut revoir la possibilité de requalification du travail indépendant en salariat. Ce point n’est pas neutre lorsque l’on constate le développement de nouvelles formes de travail parfois incitées par les pouvoirs publics. Ainsi en est-il de l’essor du statut d’auto entrepreneur ou encore de l’économie collaborative. Il serait pour le moins malsain que le législateur cherche à accroître ces différentes formes d’activité en omettant de donner aux intéressés la sécurité juridique indispensable.

▪ Il faut renforcer le dialogue et la procédure contradictoire. Devant une définition du travail dissimulé aussi vaste et un arsenal répressif aussi développé, il convient de veiller scrupuleusement au respect du dialogue voire à amplifier les garanties des cotisants. Or, force est de constater depuis plusieurs années que le législateur, voire les pouvoirs publics n’ont eu de cesse que de restreindre les garanties des personnes concernées au nom de la lutte contre le travail dissimulé. Ainsi par exemple, une vérification URSSAF est précédée d’un avis de contrôle, sauf en cas de travail dissimulé. Si l’exclusion de l’avis de contrôle se comprend aisément, en revanche, l’absence d’information relative à la Charte du cotisant contrôlé (qui énonce les droits et devoirs des parties) est plus difficilement compréhensible. Est à ce à dire que dans le cadre d’un « travail dissimulé » le cotisant a ses droits amoindris ? De la même manière, il paraîtrait cohérent, dans le cadre de la procédure contradictoire, que les procès-verbaux établis par les inspecteurs du recouvrement soient également envoyés pour information au cotisant. Qui plus est, il paraît souhaitable, afin d’éviter tout abus, que le courrier de redressement de l’URSSAF comporte la signature du directeur de l’organisme !

▪ Il faut revoir les cas d’exclusion de l’attestation de vigilance. Les URSSAF disposent d’un véritable droit de vie et de mort vis-à-vis des entreprises au travers de ces deux attestations. Sans doute serait-il utile de lister les situations graves dans lesquelles les organismes de recouvrement pourraient se dispenser de la délivrance de ces documents. Il conviendrait également que cette délivrance d’attestation ne puisse intervenir qu’au terme de la procédure contradictoire (et non comme aujourd’hui dès l’envoi du procès-verbal au procureur)

▪ Il faut revoir le rôle de la commission de recours amiable en permettant que le cotisant, non seulement, puisse présenter des observations, mais qu’il puisse s’exprimer devant la commission, s’il le souhaite

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